Collection Syndromes 1 - Le Syndrome de la Verrine
(ou Genèse du tube de l’été 2025)

(une proposition à retrouver dans nos bullshit articles et une belle surprise à ne pas louper à la fin de l'article)
Les vacances offrent le décor idéal pour ces conversations sans fin sur des sujets à la fois totalement futiles mais pour le moins cruciaux. Des débats dont l’urgence surgit comme par enchantement, une fois nos routines suspendues, et que l’esprit, enfin relâché, atteint ces hauteurs vacillantes où se confondent légèreté et lucidité, et où la moindre anecdote devient matière à controverse existentielle.
Alors on s’emballe, on s’insurge, on s’émeut sur des thématiques que la société, curieusement, continue d’ignorer avec une indifférence confondante : le grand retour du pantacourt à la Fashion Week, le bilan carbone des jets ski, faut-il s’excuser de lire Houellebecq ? La chemise hawaïenne est-elle encore iconique ? Et surtout : peut-on encore commander un Spritz sans passer pour un ringard ?
Bref, la saison bénie de toutes nos petites irritations, soudain élevées au rang de causes.
Pour ma part, j’en ai pléthore. Esprit structurellement indigné, j’avoue ne pas toujours réussir à rallier les foules à mes obsessions. Mais hier soir, chez mon amie S de S, miracle ! Les esprits étaient échauffés, surtout le mien au début mais vous verrez que cette fois, j’ai réussi à embarquer tout le monde dans ma croisade. Car ENFIN j’ai pu aborder ce sujet de fond. Ce récurrent agacement qui surgit indubitablement lorsque je me retrouve, en vacances, dans certains restaurants prétendument chics : leur décorum pseudo-gastronomique.
Ce ballet millimétré de serveurs fraîchement diplômés d’écoles hôtelières, rappelant - hé oui, dans ces instants d’indignation totale, je convoque direct mes références philosophiques - le garçon de café de Sartre, débitant leurs formules récemment apprises : « bonne dégustation », « tout se passe bien pour vous ? », « on vous laisse profiter », « excellente continuation ». Et puis, cette mise en scène de l’assiette qui devient, à force de zèle créatif, quasiment du land art : des zébrures de coulis, des virgules de pesto, des points de réduction de balsamique, et ce zigouigoui final, la traînée - oui, osons appeler un chat un chat- que mon amie S de S qualifie sobrement de trace de merde (je cite).
Et... au sommet de ce décorum : la mise en bouche ! Cette petite chose, flanquée dans une cuillère en inox ou servi sur une micro-assiette, qui se veut prélude, promesse, introduction au déploiement sensoriel à venir, parfois bouchées, parfois petites mousses aériennes déposées sur croquant-fondant-moelleux et parfois - horreur, malheur - verrines !
Ça y est, c’était dit, j’ai osé (après des années de psychanalyse, tout de même), au risque de contrarier notre hôte. Mais rassurez-vous, mon inspection furtive, le cœur battant, les mains moites, de son congélateur, vide (ouf) de verrines (Picard en est le champion) m’a autorisée à me lâcher.

Car oui, j’ai les verrines en horreur.
La verrine, c’est un concentré de prétention et d’indécision texturale. Une forme qui se prend pour un concept. Un gloubi-boulga à moitié tiède - ou, pour les désorganisées comme moi, pas encore décongelé - où plus rien n’a de goût. Des couches indistinctes, des saveurs incertaines, souvent fades et toujours floues. Une sorte de gastronomie en état d’apesanteur.
Et toujours ce doute existentiel à la première cuillère : est-ce sucré ou salé ? On trempe sa cuillère avec espoir, on ressort avec du doute. Fromage blanc ou crème de cabillaud ? Chocolat noir ou boudin ? À ce stade, c’est une roulette russe du palais.
Et que dire de l’absurdité écologique de l’objet ?
Soit c’est du plastique jetable – honte absolue, pénitence carbone garantie.
Soit c’est du verre, et alors bon courage pour le nettoyage. Une collection de mini-contenants à laver un par un, la tête penchée sur l’évier comme pour expier une faute collective. Et à la fin, vous aurez consommé plus d’eau que la Californie en saison sèche.
Tout ça pour quoi ? Pour une mousse de betterave sur substrat tiède.
Et là, dans un élan compatissant, mon amie S de S, toujours prête à écouter mes emportements avec compréhension, me raconte l’histoire d’une amie d’amie - une femme audacieuse, peut-être ; inconsciente, certainement ; téméraire, sans doute ; et, disons-le franchement, d'un raffinement douteux - qui a osé organiser une soirée 100% verrines :
Un buffet composé exclusivement de plus d'une centaine de petits pots en verre - l’option éthique et "durable", donc - alignés avec une régularité militaire. Une armée de contenants identiques, clones rigides d’eux-mêmes, prêts à défiler comme une milice culinaire. Tous de la même taille, de la même forme. Seules les couleurs les distinguaient : beige flan, rose betterave, vert cresson.
Un camaïeu de confusion et de goûts incertains.
« La verrine, c’est le symptôme parfait de l’immaturité affective contemporaine : portion minuscule, présentation ludique, texture floue… Tout y rappelle les petits pots de l’enfance. Une régression emballée dans un packaging pour adulte, sommet du mignonisme contemporain, où l’adulte cherche à être rassuré par ce qui l’infantilise subtilement. »
- Dr Ludovic Fraisse, psychologue clinicien, auteur de "L’Âge de la mousse. Essai sur les affects tièdes"
Et je compris alors que si cette amie le tenait d’une autre, qui elle-même l’avait vécu chez une (autre) autre - une certaine Véro - c’est que, ce que je croyais n’être qu’une lubie isolée était en réalité un véritable phénomène. Un de ces sujets tapis dans l’ombre, que l’on n’ose pas toujours nommer, mais qui, sournoisement, façonne nos vies : La verrine.
Car ce qui, au début de la soirée, n’était qu’un agacement snob contre les restos faussement gastro, s’est lentement métamorphosé en objet de fascination.
Et, au fur et à mesure que les verres se vidaient, que les corps se relâchaient, que les esprits s’embrumaient… nous avons, dans un élan presque cathartique, fini par la sublimer. Quelques heures de confusion alcoolisée plus tard, après avoir exhumé nos traumatismes texturaux culinaires, imaginé des manières de les transcender, longuement hésité entre un son Techno rétro-futuriste, Indie rock atmosphérique ou Post-punk new wave pour mieux les expurger, et enfin écrit des paroles salvatrices dignes des plus belles pépites de l’Eurovision, “la verrine” ou plutôt "soirée verrines" devenait, très probablement, le tube de l’été. (D’ailleurs, si vous avez des contacts dans la musique, n'hésitez pas à partager, on est preneurs pour la promo !)

🎵 Et voici le résultat : un véritable opus, “Soirée Verrines”, du groupe TUPPERWAVE
En tournée nationale - bientôt dans votre ville - Billetterie ouverte
Et parce que chez Sens Dessous Dessus, nous cultivons le souci du détail autant que celui de la pensée critique - et que nous croyons aux vertus du traitement éditorial intégral - nous avons confié à S de S le soin de vous livrer ses meilleures idées déco pour réussir, avec style, créativité et cette élégance qui ne la quitte jamais, vos soirées verrines.
Un supplément estival à part entière, dans la droite ligne de notre jeu de l’été (auquel, cela va sans dire, vous pouvez encore participer ici ).
💡 Idées déco par S de S
Vos verrines ne doivent pas qu’être belles, elles doivent être inoubliables. Place donc au choc visuel !
👉 Rien de tel qu’une coquille Saint-Jacques pour y servir…. une coquille Saint-Jacques. Bousculez les codes, récupérez les coquilles qui ont servi un temps de cendriers, et versez-y votre « velouté flottant en équilibre instable ». Stupéfaction garantie !
👉 Le verre à moutarde si décrié sera un bon moyen de surprendre vos convives avec votre graphoglassophilie. Il sera en outre le point de départ de conversations à travers le panel de motifs présenté. Qui, avouera sa préférence entre Tom et Jerry, ou, qui soulèvera le sujet délicat de la sexualité de Tintin.
👉 Le verre en carton McDo, opaque par essence, ne dévoilera le contenu de la verrine qu’après dégustation. La surprise sera au rendez-vous! Afin de ne pas écoeurer vos invités, je suggère de ne conserver que les gobelets de 25 cl qui offrent d’ores et déjà un volume conséquent pour votre « cocktail du pêcheur aux harengs extra fumés ».
👉 Si vous avez des enfants à la maison, il vous sera aisé de subtiliser les étuis en plastique ovoïdes jaunes de leurs jouets Kinder. Et pourquoi ne pas ajouter un clin d’oeil entre le contenant et le contenu, en y incorporant un « oeuf mimosa sur tartare de légumes oubliés ».
⛔️ Attention : l’oeuf Kinder étant instable, il vous faudra fabriquer un support. Une plaque de polystyrène percée fera joyeusement l’affaire. Vous pourrez la peindre en l’accordant à votre papier peint ou à la couleur de votre canapé. Couleur suggérée : bleu canard.